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moi n’avons pas tant d’ambition… Au début, j’ai pris huit actions, avec les quatre mille francs d’économies que ma pauvre femme nous a laissés ; et je n’ai toujours que ces huit-là, parce que, n’est-ce pas ? aux autres émissions, lorsqu’on a doublé deux fois le capital, nous n’avons pas eu l’argent, pour accepter les titres qui nous revenaient… Non, non, il ne s’agit pas de ça, il ne faut pas être si gourmand ! Je voulais seulement demander à monsieur, sans l’offenser, si monsieur est d’avis que je vende.

— Comment ! que vous vendiez ? 

Alors, Dejoie, avec toutes sortes de circonlocutions quiètes et respectueuses, exposa son cas. Au cours de treize cents francs, ses huit actions représentaient dix mille quatre cents francs. Il pouvait donc largement donner à Nathalie les six mille francs de dot que le cartonnier exigeait. Mais, devant la hausse continue des titres, un appétit d’argent lui était venu, l’idée, vague d’abord, puis tyrannique, de se faire sa part, d’avoir à lui une petite rente de six cents francs, qui lui permettrait de se retirer.

Seulement, un capital de douze mille francs ajouté aux six mille francs de sa fille, cela faisait l’énorme total de dix-huit mille francs ; et il désespérait d’arriver jamais à ce chiffre, car il avait calculé que, pour cela, il lui faudrait attendre le cours de deux mille trois cents francs.

— Vous comprenez, monsieur, que si ça ne doit plus monter, j’aime mieux vendre, parce que le bonheur de Nathalie avant tout, n’est-ce pas ?… Tandis que, si ça monte encore, j’aurai un tel crève-cœur d’avoir vendu… 

Saccard éclata.

— Ah ! çà, mon garçon, vous êtes stupide !… Est-ce que vous croyez que nous allons nous arrêter à treize cents ? Est-ce que je vends, moi ?… Vous les aurez, vos dix-huit mille francs, j’en réponds. Et décampez ! et flanquez-moi dehors tout ce monde qui est là, en disant que je suis sorti ! 

Quand il se retrouva seul, Saccard put rappeler les deux chefs de service et terminer son travail en paix.