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si animée, si vibrante de foi, qu’elle lui parut vraiment très jolie, malgré son teint jaune et son cou trop mince, déjà fané. Aussi se trouvait-il grand et bon, à l’idée d’avoir fait le bonheur de cette triste créature, que l’espoir d’un mari suffisait à embellir.

— Oh ! d’une voix basse et comme lointaine, c’est si beau, cette conquête, là-bas… Oui, une ère nouvelle, la croix rayonnante… 

C’était le mystère, ce que personne ne disait ; et sa voix baissait encore, se perdait en un souffle de ravissement. Lui, d’ailleurs, la faisait taire d’un geste amical ; car il ne tolérait pas qu’on parlât en sa présence de la grande chose, le but suprême et caché. Son geste enseignait qu’il fallait toujours y tendre, mais n’en jamais ouvrir les lèvres. Dans le sanctuaire, les encensoirs se balançaient, aux mains des quelques initiés.

Après un silence attendri, la comtesse se leva enfin.

— Eh bien, monsieur, je suis convaincue, je vais écrire à mon notaire que j’accepte l’offre qui se présente pour les Aublets… Que Dieu me pardonne si je fais mal ! 

Saccard, debout, déclara avec une gravité émue :

— C’est Dieu lui-même qui vous inspire, madame, soyez-en certaine. 

Et, comme il les accompagnait jusque dans le couloir, évitant l’antichambre, où l’entassement continuait, il rencontra Dejoie, qui rôdait, l’air gêné.

— Qu’y a-t-il ? Ce n’est pas quelqu’un encore, j’imagine ?

— Non, non, monsieur… Si j’osais demander un avis à monsieur… C’est pour moi… 

Et il manœuvrait de telle façon que Saccard se retrouva dans son cabinet, tandis que lui restait sur le seuil, très déférent.

— Pour vous ?… Ah ! c’est vrai, vous êtes actionnaire, vous aussi… Eh bien, mon garçon, prenez les nouveaux titres qui vont vous être réservés, vendez plutôt vos chemises pour les prendre. C’est le conseil que je donne à tous nos amis.

— Oh ! monsieur, le morceau est trop gros, ma fille et