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Alors, elle se souvint du jour où elle était allée lui emprunter les deux mille francs, pour l’acompte sur la rançon de Victor. Ne lui avait-il pas promis de causer avec elle, lorsqu’elle voudrait savoir ? L’occasion ne s’offrait-elle pas de tout apprendre du passé ? en le questionnant ? Et un irrésistible besoin la poussait : maintenant qu’elle avait commencé de descendre, il lui fallait toucher le fond. Cela seul était brave, digne d’elle, utile à tous.

Mais elle répugnait à cette enquête, elle prit un détour, ayant l’air de rompre la conversation.

— Je vous dois toujours deux mille francs, dit-elle. Vous ne m’en voulez pas trop, de vous faire attendre ? 

Il eut un geste, pour lui donner tout le temps désirable. Puis, brusquement :

— À propos, et mon petit frère, ce monstre ?

— Il me désole, je n’ai encore rien dit à votre père… Je voudrais tant décrasser un peu le pauvre être, pour qu’on pût l’aimer ! 

Un rire de Maxime l’inquiéta, et comme elle l’interrogeait des yeux :

— Dame ! je crois que vous prenez encore là un souci bien inutile. Papa ne comprendra guère toute cette peine… Il en a tant vu, des ennuis de famille ! 

Elle le regardait toujours, si correct dans son égoïste jouissance de la vie, si joliment désabusé des liens humains, même de ceux que crée le plaisir. Il avait souri, goûtant seul la méchanceté cachée de sa dernière phrase. Et elle eut conscience qu’elle touchait au secret de ces deux hommes.

— Vous avez perdu votre mère de bonne heure ?

— Oui, je l’ai à peine connue… J’étais encore à Plassans, au collège, lorsqu’elle est morte, ici, à Paris… Notre oncle, le docteur Pascal, a gardé là-bas avec lui ma sœur Clotilde que je n’ai jamais revue qu’une fois.

— Mais votre père s’est remarié ?

Il eut une hésitation. Ses yeux si clairs, si vides, s’étaient troublés d’une petite fumée rousse.