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de se faire, l’emplissait de honte, redoublait ses pleurs, au point de l’étouffer.

— N’avoir pas plus de fierté, mon Dieu ! balbutiait-elle à voix haute. Être à ce point fragile et misérable ! Ne pas pouvoir, quand on veut !

À ce moment, dans la pièce noire, elle eut l’étonnement d’entendre une voix. C’était Maxime qui, en familier de la maison, venait d’entrer.

— Comment ! vous êtes sans lumière, et vous pleurez !

Confuse d’être ainsi surprise, elle s’efforça de maîtriser ses sanglots, pendant qu’il ajoutait :

— Je vous demande pardon, je croyais mon père revenu de la Bourse… Une dame m’a prié de le lui amener à dîner. 

Mais le valet de chambre apportait une lampe, et il se retira, après l’avoir posée sur la table. Toute la vaste pièce s’était éclairée de la calme lumière qui tombait de l’abat-jour.

— Ce n’est rien, voulut expliquer madame Caroline, un bobo de femme, moi qui suis pourtant si peu nerveuse. 

Et, les yeux secs, le buste droit, elle souriait déjà, de son air héroïque de combattante. Un instant, le jeune homme la regarda, si fièrement redressée, avec ses grands yeux clairs, ses fortes lèvres, son visage de bonté virile, l’épaisse couronne de ses cheveux blancs avait adouci et pénétré d’un grand charme ; et il la trouvait jeune encore, toute blanche ainsi, les dents également très blanches, une femme adorable, devenue belle. Puis il songea à son père, il eut un haussement d’épaules plein d’une méprisante pitié.

— C’est lui, n’est-ce pas ? qui vous met dans un état pareil. 

Elle voulut nier, mais elle étranglait, des larmes remontaient à ses paupières.

— Ah ! ma pauvre madame, je vous disais bien que vous aviez des illusions sur papa et que vous en seriez mal récompensée… C’était fatal, qu’il vous mangeât, vous aussi !