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« Cochons ! répéta encore Delcambre, cochons ! dans cette chambre que je paie ! »

Et, montrant le poing à Saccard, s’affolant de plus en plus, à l’idée que ces ordures se faisaient sur un meuble acheté avec son argent, il délira.

— Vous êtes ici chez moi, cochon que vous êtes ! Et cette femme est à moi, vous êtes un cochon et un voleur ! 

Saccard, qui ne se fâchait pas, aurait voulu le calmer, fort embarrassé d’être ainsi en chemise, et tout à fait contrarié de l’aventure. Mais le mot de voleur le blessa.

— Dame ! monsieur, répondit-il, quand on veut avoir une femme à soi tout seul, on commence par lui donner ce dont elle a besoin. 

Cette allusion à son avarice acheva d’enrager Delcambre. Il était méconnaissable, effroyable, comme si le bouc humain, tout le priape caché lui sortait de la peau. Ce visage, si digne et si froid, avait brusquement rougi, et il se gonflait, se tuméfiait, s’avançait en un mufle furieux. L’emportement lâchait la brute charnelle, dans l’affreuse douleur de cette fange remuée.

— Besoin, besoin, balbutia-t-il, besoin du ruisseau… Ah ! Garce ! 

Et il eut vers la baronne un geste si violent, qu’elle prit peur. Elle était restée debout, immobile, ne parvenant à se voiler la gorge, avec le jupon, qu’en laissant à découvert le ventre et les cuisses. Alors, ayant compris que cette nudité coupable, ainsi étalée, l’exaspérait davantage, elle recula jusqu’à la chaise, s’y assit en serrant les jambes, en remontant les genoux, de façon à cacher tout ce qu’elle pouvait. Puis, elle demeura là, sans un geste, sans un mot, la tête un peu basse, les yeux obliques et sournois sur la bataille, en femelle que les hommes se disputent, et qui attend, pour être au vainqueur.

Saccard, courageusement, s’était jeté devant elle.

— Vous n’allez pas la battre, peut-être !

Les deux hommes se trouvèrent face à face.

— Enfin, monsieur, reprit-il, il faut en finir. Nous ne pouvons pas nous disputer comme des cochers… C’est