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cent, laissé à la réserve une somme de cinq millions, outre le dix pour cent réglementaire ; et, avec le million qui restait, on était arrivé à distribuer un dividende de dix francs par action. C’était un beau résultat pour une société qui n’avait pas deux ans d’existence. Mais Saccard procédait par coups de fièvre, appliquant au terrain financier la méthode de la culture intensive, chauffant, surchauffant le sol, au risque de brûler la récolte ; et il fit accepter, d’abord par le conseil d’administration, ensuite par une assemblée générale extraordinaire, qui se réunit le 15 septembre, une seconde augmentation du capital : on le doublait encore, on l’élevait de cinquante à cent millions, en créant cent mille actions nouvelles, exclusivement réservées aux actionnaires, titre pour titre. Seulement, cette fois, les titres étaient émis à 675 francs, soit une prime de 175 francs, destinée à être versée au fonds de réserve. Les succès croissants, les affaires heureuses déjà faites, surtout les grandes entreprises que l’Universelle allait lancer, étaient les raisons invoquées pour justifier cette énorme augmentation du capital, doublé ainsi coup sur coup ; car il fallait bien donner à la maison une importance et une solidité en rapport avec les intérêts qu’elle représentait. D’ailleurs, le résultat fut immédiat : les actions qui, depuis des mois, restaient stationnaires à la Bourse, au cours moyen de sept cent cinquante, montèrent à neuf cents, en trois jours.

Hamelin n’avait pu revenir d’Orient, pour présider l’assemblée générale extraordinaire, et il écrivit à sa sœur une lettre inquiète, où il exprimait des craintes sur cette façon de mener l’Universelle au galop, d’un train fou. Il devinait bien qu’on avait fait encore, chez maître Lelorrain, des déclarations mensongères. En effet, toutes les actions nouvelles n’avaient pas été légalement souscrites, la société était restée propriétaire des titres que refusaient les actionnaires ; et, les versements n’étant point exécutés, un jeu d’écritures avait passé ces titres au compte Sabatani. En outre, d’autres prête-noms, des employés, des administrateurs, lui avaient permis de