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sûr, une débauche qu’il promettait bien de ne pas recommencer, qu’il avait risquée uniquement à cause de la serre. Elle, partagée entre la colère et le saisissement de sa joie, n’avait point osé le gronder. Le mois suivant, il se lançait dans une opération à primes, en lui expliquant qu’il ne craignait rien, du moment où il limitait sa perte. Puis, que diable ! dans le tas, il y avait tout de même de bonnes affaires, il aurait été bien sot de laisser le voisin en profiter. Et, fatalement, il s’était mis à jouer à terme, petitement d’abord, s’enhardissant peu à peu, tandis qu’elle, toujours agitée par ses angoisses de bonne ménagère, les yeux en flammes pourtant au moindre gain, continuait à lui prédire qu’il mourrait sur la paille.

Mais, surtout, le capitaine Chave, le frère de madame Maugendre, blâmait son beau-frère. Lui qui ne pouvait se suffire avec les dix-huit cents francs de sa retraite, jouait bien à la Bourse ; seulement, il était le malin des malins. Il allait là comme un employé va à son bureau, n’opérant que sur le comptant, ravi quand il emportait sa pièce de vingt francs le soir : des opérations quotidiennes, faites à coup sûr, d’une modestie telle, qu’elles échappaient aux catastrophes. Sa sœur lui avait offert une chambre chez elle, dans la maison trop vaste, depuis que Marcelle était mariée ; mais il avait refusé, tenant à être libre, ayant des vices, occupant une seule pièce, au fond d’un jardin de la rue Nollet, où continuellement se glissaient des jupes. Ses gains devaient passer en bonbons et en gâteaux pour ses petites amies. Toujours il avait mis en garde Maugendre, lui répétant de ne pas jouer, de faire la vie plutôt ; et, quand ce dernier lui criait : « Mais vous ? » il avait un geste énergique : oh ! lui, c’était différent, il n’avait pas quinze mille francs de rente, sans ça ! S’il jouait, la faute en était à cette saleté de gouvernement qui marchandait aux vieux braves la joie de leur vieillesse. Son grand argument contre le jeu était que, mathématiquement, le joueur devait toujours perdre : s’il gagne, il a à déduire le courtage et le droit de timbre ; s’il perd, il a en plus à payer les mêmes