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tions contre cette race de trafiquants et d’usuriers, en marche depuis des siècles à travers les peuples, dont ils sucent le sang, comme les parasites de la teigne et de la gale, allant quand même, sous les crachats et les coups, à la conquête certaine du monde, qu’ils posséderont un jour par la force invincible de l’or. Et il s’acharnait surtout contre Gundermann, cédant à sa rancune ancienne, au désir irréalisable et enragé de l’abattre, malgré le pressentiment que celui-là était la borne où il s’écraserait, s’il entrait jamais en lutte. Ah ! ce Gundermann ! un Prussien à l’intérieur, bien qu’il fût né en France ! car il faisait évidemment des vœux pour la Prusse, il l’aurait volontiers soutenue de son argent, peut-être même la soutenait-il en secret ! N’avait-il pas osé dire, un soir, dans un salon, que, si jamais une guerre éclatait entre la Prusse et la France, cette dernière serait vaincue !

— J’en ai assez, comprenez-vous, Huret ! et mettez-vous bien ça dans la tête c’est que, si mon frère ne me sert à rien, j’entends ne lui servir à rien non plus… Quand vous m’aurez apporté de sa part une bonne parole, je veux dire un renseignement que nous puissions utiliser, je vous laisserai reprendre vos dithyrambes en sa faveur. Est-ce clair ? 

C’était trop clair. Jantrou, qui retrouvait son Saccard, sous le théoricien politique, s’était remis à peigner sa barbe du bout de ses doigts. Mais Huret, bousculé dans sa finasserie prudente de paysan normand, paraissait fort ennuyé, car il avait placé sa fortune sur les deux frères, et il aurait bien voulu ne se fâcher ni avec l’un ni avec l’autre.

— Vous avez raison, murmura-t-il, mettons une sourdine, d’autant plus qu’il faut voir venir l’événement. Et je vous promets de tout faire pour obtenir les confidences du grand homme. À la première nouvelle qu’il m’apprend, je saute dans un fiacre et je vous l’apporte. 

Déjà, ayant joué son rôle, Saccard plaisantait.

— C’est pour vous tous que je travaille, mes bons