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le sang, voyez-vous, et le médecin m’avait bien dit qu’elle ne vivrait pas, si elle continuait à être bousculée chez nous… Tandis qu’ici elle a de la viande, elle a du vin ; et puis, elle respire, elle est tranquille… Je vous en prie, madame, dites bien à ce bon monsieur que je ne vis pas une heure de mon existence sans le bénir. 

Un sanglot la suffoqua, son cœur se fondait de reconnaissance. C’était de Saccard qu’elle parlait, car elle ne connaissait que lui, comme la plupart des parents qui avaient des enfants à l’Œuvre du Travail. La princesse d’Orviedo ne paraissait point, tandis que lui s’était longtemps prodigué, peuplant l’œuvre, ramassant toutes les misères du ruisseau pour voir plus vite fonctionner cette machine charitable qui était un peu sa création, se passionnant du reste comme toujours, distribuant des pièces de cent sous de sa poche aux tristes familles dont il sauvait les petits. Et il restait le seul et vrai bon Dieu, pour tous ces misérables.

— N’est-ce pas ? madame, dites-lui bien qu’il y a quelque part une pauvre femme qui prie pour lui… Oh ! ce n’est pas que j’aie de la religion, je ne veux point mentir, je n’ai jamais été hypocrite. Non, les églises et nous, c’est fini, parce que nous n’y songeons seulement plus, tout ça ne servait à rien, d’aller y perdre son temps… Mais ça n’empêche qu’il y a tout de même quelque chose au-dessus de nous, et alors ça soulage, quand quelqu’un a été bon, d’appeler sur lui les bénédictions du ciel. 

Ses larmes débordèrent, coulèrent sur ses joues flétries.

— Écoute-moi, Madeleine, écoute… 

La fillette, si pâle dans sa chemise de neige, et qui léchait la confiture de sa tartine d’un petit bout de langue gourmande, avec des yeux de bonheur, leva la tête, devint attentive, sans cesser son régal.

— Chaque soir, avant de t’endormir dans ton lit, tu joindras tes mains comme ça, et tu diras : « Mon Dieu, faites que M. Saccard soit récompensé de sa bonté, qu’il ait de longs jours et qu’il soit heureux… » Tu entends, tu me le promets ?