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— Oh ! l’héritage de papa !

Et il eut un geste d’insouciance ironique, qu’elle ne comprit pas. Quoi ? que voulait-il dire ? Ne croyait-il pas aux grandes qualités, à la fortune certaine de son père ?

— Non, non, mon affaire est faite, je n’ai besoin de personne… Seulement, en vérité, c’est si drôle, ce qui arrive, que je ne puis m’empêcher d’en rire. 

Il riait, en effet, mais vexé, inquiet sourdement, ne songeant qu’à lui, n’ayant pas encore eu le temps d’examiner ce que l’aventure pouvait lui apporter de bon ou de mauvais. Il se sentit à l’écart, il lâcha un mot où, brutalement, il se mit tout entier.

— Au fond, je m’en fiche, moi ! 

S’étant levé, il passa dans le cabinet de toilette, en revint tout de suite avec un polissoir d’écaille, dont il se frottait doucement les ongles.

— Et qu’est-ce que vous allez en faire, de votre monstre ? On ne peut pas le mettre à la Bastille, comme le Masque de fer. 

Elle parla alors des comptes de la Méchain, expliqua son idée de faire entrer Victor à l’Œuvre du Travail, et lui demanda les deux mille francs.

— Je ne veux pas que votre père sache rien encore, je n’ai que vous à qui m’adresser, il faut que vous fassiez cette avance. 

Mais il refusa net.

— À papa, jamais de la vie ! pas un sou !… Écoutez, c’est un serment, papa aurait besoin d’un sou pour passer un pont que je ne le lui prêterais pas… Comprenez donc ! il y a des bêtises trop bêtes, je ne veux pas être ridicule ! 

De nouveau, elle le regardait, troublée des choses vilaines qu’il insinuait. En ce moment de passion, elle n’avait ni le désir ni le temps de le faire causer.

— Et à moi, reprit-elle d’une voix brusque, me les prêterez-vous, ces deux mille francs ?

— À vous, à vous… 

Il continuait de se polir les ongles, d’un mouvement