Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ainsi, je pourrais vous citer un exemple. Vos infortunées voisines, ces dames de Beauvilliers… 

D’un mouvement brusque, il s’était approché d’une des fenêtres, il plongeait ses regards ardemment curieux dans le jardin voisin. Sans doute, depuis qu’il était entré, il méditait ce coup d’espionnage, aimant à connaître ses terrains de bataille. Dans l’affaire de la reconnaissance de dix mille francs, signée par le comte à la fille Léonie Cron, il avait deviné juste, les renseignements envoyés de Vendôme disaient l’aventure prévue : la fille séduite, restée sans un sou, à la mort du comte, avec son chiffon de papier inutile, et dévorée de l’envie de venir à Paris, et finissant par laisser le papier en nantissement à l’usurier Charpier, pour cinquante francs peut-être. Seulement, s’il avait tout de suite retrouvé les Beauvilliers, il faisait battre Paris depuis six mois par la Méchain, sans pouvoir mettre la main sur Léonie. Elle y était tombée bonne à tout faire, chez un huissier, et il la suivait dans trois places ; puis, chassée pour inconduite notoire, elle disparaissait, il avait en vain fouillé tous les ruisseaux. Cela l’exaspérait d’autant plus, qu’il ne pouvait rien tenter sur la comtesse, tant qu’il n’aurait pas la fille comme une menace vivante de scandale. Mais il n’en nourrissait pas moins l’affaire, il était heureux, debout devant la fenêtre, de connaître le jardin de l’hôtel, dont il n’avait vu encore que la façade, sur la rue.

— Est-ce que ces dames seraient également menacées de quelque ennui ?  demanda madame Caroline, avec une inquiète sympathie.

Il fit l’innocent.

— Non, je ne crois pas… Je voulais parler simplement de la triste situation où les a laissées la mauvaise conduite du comte… Oui, j’ai des amis à Vendôme, je sais leur histoire. 

Et, comme il se décidait enfin à quitter la fenêtre, il eut, dans l’émotion qu’il jouait, un brusque et singulier retour sur lui-même.

— Encore, quand ce ne sont que des plaies d’argent !