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dame qui tenait la maison, dont tous les fournisseurs du quartier lui avaient parlé, le lança dans un nouveau plan de campagne. Est-ce que, par hasard, cette dame était la vraie maîtresse, celle qui avait la clef des armoires et du cœur ? Il obéissait assez souvent à ce qu’il appelait le coup de l’inspiration, cédant à une divination brusque, partant en chasse sur une simple indication de son flair, quitte ensuite à tirer des faits une certitude et une résolution. Et ce fut ainsi qu’il se rendit rue Saint-Lazare, pour voir madame Caroline.

En haut, dans la salle des épures, madame Caroline resta surprise devant ce gros homme mal rasé, à la figure plate et sale, vêtu d’une belle redingote graisseuse et cravaté de blanc. Lui-même la fouillait jusqu’à l’âme, la trouvait telle qu’il la souhaitait, si grande, si saine, avec ses admirables cheveux blancs, qui éclairaient de gaieté et de douceur son visage resté jeune ; et il était surtout frappé par l’expression de la bouche un peu forte, une telle expression de bonté, que tout de suite il se décida.

— Madame, dit-il, j’aurais désiré parler à M. Saccard, mais on vient de me répondre qu’il était absent… 

Il mentait, il ne l’avait même pas demandé, car il savait fort bien qu’il n’y était point, ayant guetté son départ pour la Bourse.

— Et je me suis alors permis de m’adresser à vous, préférant cela au fond, n’ignorant pas à qui je m’adresse… Il s’agit d’une communication si grave, si délicate… 

Madame Caroline, qui, jusque-là, ne lui avait pas dit de s’asseoir, lui indiqua un siège, avec un empressement inquiet.

— Parlez, monsieur, je vous écoute. 

Busch, en relevant avec soin les pans de sa redingote, qu’il semblait craindre de salir, se posa à lui-même, comme un point acquis, qu’elle couchait avec Saccard.

— C’est que, madame, ce n’est point commode à dire, et je vous avoue qu’au dernier moment je me demande si je fais bien de vous confier une pareille chose… J’espère que vous verrez, dans ma démarche, l’unique désir de