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Saccard, qui connaissait bien ses habituelles pensées, avait suivi sur son visage cet espoir de l’avenir.

— Oui, la spéculation. Pourquoi ce mot vous fait-il peur ?… Mais la spéculation, c’est l’appât même de la vie, c’est l’éternel désir qui force à lutter et à vivre… Si j’osais une comparaison, je vous convaincrais… 

Il riait de nouveau, pris d’un scrupule de délicatesse. Puis, il osa tout de même, volontiers brutal devant les femmes.

— Voyons, pensez-vous que sans… comment dirai-je ? sans la luxure, on ferait beaucoup d’enfants ?… Sur cent enfants qu’on manque de faire, il arrive qu’on en fabrique un à peine. C’est l’excès qui amène le nécessaire, n’est-ce pas ?

— Certes, répondit-elle, gênée.

— Eh bien, sans la spéculation, on ne ferait pas d’affaires, ma chère amie… Pourquoi diable voulez-vous que je sorte mon argent, que je risque ma fortune, si vous ne me promettez pas une jouissance extraordinaire, un brusque bonheur qui m’ouvre le ciel ?… Avec la rémunération légitime et médiocre du travail, le sage équilibre des transactions quotidiennes, c’est un désert d’une platitude extrême que l’existence, un marais où toutes les forces dorment et croupissent ; tandis que, violemment, faites flamber un rêve à l’horizon, promettez qu’avec un sou on en gagnera cent, offrez à tous ces endormis de se mettre à la chasse de l’impossible, des millions conquis en deux heures, au milieu des plus effroyables casse-cou ; et la course commence, les énergies sont décuplées, la bousculade est telle, que, tout en suant uniquement pour leur plaisir, les gens arrivent parfois à faire des enfants, je veux dire des choses vivantes, grandes et belles… Ah ! dame ! il y a beaucoup de saletés inutiles, mais certainement le monde finirait sans elles. 

Madame Caroline s’était décidée à rire, elle aussi ; car elle n’avait point de pruderie.

— Alors, dit-elle, votre conclusion est qu’il faut s’y résigner, puisque cela est dans le plan de la nature… Vous avez raison, la vie n’est pas propre.