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l’homme, borné, mais très adroit, très bon, rompu à la discipline militaire. Puis, il suffisait qu’il se présentât au nom de madame Caroline.

— C’est parfait, mon ami… Je vais avoir un journal, je vous prends comme garçon de bureau… Laissez-moi votre adresse, et au revoir. 

Cependant, Dejoie ne s’en allait point. Il continua, avec embarras :

— Monsieur est bien obligeant, j’accepte la place avec reconnaissance, parce qu’il faudra que je travaille, quand j’aurai casé Nathalie… Mais j’étais venu pour autre chose. Oui, j’ai su, par madame Caroline et par d’autres personnes encore, que monsieur va se trouver dans de grandes affaires et qu’il pourra faire gagner tout ce qu’il voudra à ses amis et connaissances… Alors, si monsieur voulait bien s’intéresser à nous, si monsieur consentait à nous donner de ses actions… 

Saccard, une seconde fois, fut ému, plus ému qu’il ne venait de l’être, la première lorsque la comtesse lui avait confié, elle aussi, la dot de sa fille. Cet homme simple, ce tout petit capitaliste aux économies grattées sou à sou, n’était-ce pas la foule croyante, confiante, la grande foule qui fait les clientèles nombreuses et solides, l’armée fanatisée qui arme une maison de crédit d’une force invincible ? si ce brave homme accourait ainsi, avant toute publicité, que serait-ce lorsque les guichets seraient ouverts ? Son attendrissement souriait à ce premier petit actionnaire, il voyait là le présage d’un gros succès.

— Entendu, mon ami, vous aurez des actions.

La face de Dejoie rayonna, comme à l’annonce d’une grâce inespérée.

— Monsieur est trop bon… N’est-ce pas ? en six mois, je puis bien, avec mes quatre mille, en gagner deux mille, de façon à compléter la somme… Et, puisque monsieur y consent, j’aime mieux régler ça tout de suite. J’ai apporté l’argent. 

Il se fouilla, tira une enveloppe, qu’il tendit à Saccard, immobile, silencieux, saisi d’une admiration charmée, à