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— Pardon, mon ami, dit-il en arrêtant l’ancien professeur, pour recevoir d’abord le Levantin.

Sabatani, avec son inquiétant sourire de caresse, sa souplesse de couleuvre, laissa parler Saccard, qui, très nettement d’ailleurs, en homme qui le connaissait, lui fit sa proposition.

— Mon cher, j’ai besoin de vous… Il nous faut un prête-nom. Je vous ouvrirai un compte, je vous ferai acheteur d’un certain nombre de nos titres, que vous paierez simplement par un jeu d’écritures… Vous voyez que je vais droit au but et que je vous traite en ami.

Le jeune homme le regardait de ses beaux yeux de velours, si doux dans sa longue face brune.

— La loi, cher maître, exige d’une façon formelle le versement en espèces… Oh ! ce n’est pas pour moi que je vous dis ça. Vous me traitez en ami, et j’en suis très fier… Tout ce que vous voudrez ! 

Alors, Saccard, pour lui être agréable, lui dit l’estime où le tenait Mazaud, qui avait fini par prendre ses ordres, sans être couvert. Puis, il le plaisanta sur Germaine Cœur, avec laquelle il l’avait rencontré la veille, faisant allusion crûment au bruit qui le douait d’un véritable prodige, une exception géante, dont rêvaient les filles du monde de la Bourse, tourmentées de curiosité. Et Sabatani ne niait pas, riait de son rire équivoque sur ce sujet scabreux : oui, oui ! ces dames étaient très drôles à courir après lui, elles voulaient voir.

— Ah ! à propos, interrompit Saccard, nous aurons aussi besoin de signatures, pour régulariser certaines opérations, les transferts, par exemple… Pourrai-je envoyer chez vous les paquets de papiers à signer ?

— Mais certainement, cher maître. Tout ce que vous voudrez ! 

Il ne soulevait même pas la question de payement, sachant que cela est sans prix, lorsqu’on rend de pareils services ; et, comme l’autre ajoutait qu’on lui donnerait un franc par signature, pour le dédommager de sa perte