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spéculation riche, qui affectait de se désintéresser des petits bruits du jour. On le respectait, on le consultait beaucoup. Souvent il avait influencé le marché. Enfin, tout un personnage.

Saccard, qui le connaissait bien, fut quand même impressionné par la réception hautement polie de ce beau vieillard de soixante ans, à la tête très petite posée sur un corps de colosse, la face blême, encadrée d’une perruque brune, du plus grand air.

— Monsieur le marquis, je viens en véritable solliciteur… 

Il dit le motif de la visite, sans entrer d’abord dans les détails. D’ailleurs, dès les premiers mots, le marquis l’arrêta.

— Non, non, tout mon temps est pris, j’ai en ce moment dix propositions que je dois refuser. 

Puis, comme Saccard, souriant, ajoutait :

— C’est Daigremont qui m’envoie, il a songé à vous. 

Il s’écria aussitôt :

— Ah ! vous avez Daigremont là-dedans… Bon ! bon ! si Daigremont en est, j’en suis. Comptez sur moi.

Et le visiteur ayant alors voulu lui fournir au moins quelques renseignements, pour lui apprendre dans quelle sorte d’affaire il allait entrer, il lui ferma la bouche, avec la désinvolture aimable d’un grand seigneur qui ne descend pas à ces détails et qui a une confiance naturelle dans la probité des gens.

— Je vous en prie, n’ajoutez pas un mot… Je ne veux pas savoir. Vous avez besoin de mon nom, je vous le prête, et j’en suis très heureux, voilà tout… Dites seulement à Daigremont qu’il arrange ça comme il lui plaira. 

En remontant dans son fiacre, Saccard, égayé, riait d’un rire intérieur.

— Il nous coûtera cher, pensait-il, mais il est vraiment très bien. 

Puis, à voix haute :

— Cocher, rue des Jeûneurs. 

La maison Sédille avait là ses magasins et ses bureaux, tenant, au fond d’une cour, tout un vaste rez-de-chaussée.