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le temps de se rendre compte s’il y aurait là, pour lui, bénéfice ou dommage.

— Non, non ! je ne peux pas… Je vous ai transmis la volonté de votre frère, je ne peux pas aller le relancer encore. Que diable ! songez un peu à moi. Il n’est guère tendre, quand on l’embête ; et, dame ! je n’ai pas envie de payer pour vous, en y laissant mon crédit. 

Alors, Saccard, comprenant, ne s’attacha plus qu’à le convaincre des millions qu’il y aurait à gagner, dans le lancement de la Banque Universelle. À larges traits, avec sa parole ardente qui transformait une affaire d’argent en un conte de poète, il expliqua les entreprises superbes, le succès certain et colossal. Daigremont, enthousiasmé, se mettait à la tête du syndicat. Bohain et Sédille avaient déjà demandé d’en être. Il était impossible que lui, Huret, n’en fût pas : ces messieurs le voulaient absolument avec eux, à cause de sa haute situation politique. Même on espérait bien qu’il consentirait à faire partie du conseil d’administration, parce que son nom signifiait ordre et probité.

À cette promesse d’être nommé membre du conseil, le député le regarda bien en face.

— Enfin, qu’est-ce que vous désirez de moi, quelle réponse voulez-vous que je tire de Rougon ?

— Mon Dieu ! reprit Saccard, moi, je me serais passé volontiers de mon frère. Mais c’est Daigremont qui exige que je me réconcilie. Peut-être a-t-il raison… Alors, je crois que vous devez simplement parler de notre affaire au terrible homme, et obtenir, sinon qu’il nous aide, du moins qu’il ne soit pas contre nous. 

Huret, les yeux à demi fermés, ne se décidait toujours pas.

— Voilà ! si vous apportez un mot gentil, rien qu’un mot gentil, entendez-vous ! Daigremont s’en contentera, et nous bâclons ce soir la chose à nous trois.

— Eh bien, je vais essayer, déclara brusquement le député, en affectant une rondeur paysanne ; mais il faut que ce soit pour vous, car il n’est pas commode, oh ! non,