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LES ROUGON-MACQUART.

que cette dépendance de l’art, sous le bon vouloir imbécile d’un ministre ! Ainsi, Fagerolles, pour sûr, à ce dîner officiel, était en train de lécher consciencieusement les bottes de quelque chef de bureau, quelque crétin à empailler !

— Mon Dieu ! dit Jory, il fait ses affaires, et il a raison… Ce n’est pas vous qui paierez ses dettes.

— Des dettes, est-ce que j’en ai, moi qui ai crevé la faim ? répondit Mahoudeau d’un ton rogue. Est-ce qu’on se fait bâtir un palais, est-ce qu’on a des maîtresses comme cette Irma, qui le ruine ?

Gagnière, de nouveau, l’interrompit, de son étrange voix d’oracle, lointaine et fêlée.

— Irma, mais c’est elle qui le paie !

On se fâchait, on plaisantait, le nom d’Irma volait par-dessus la table, lorsque Mathilde, réservée et muette jusque-là, par une affectation de bon genre, s’indigna vivement, avec des gestes effarés, une bouche prude de dévote qu’on violente.

— Oh ! messieurs, oh ! messieurs… Devant nous, cette fille… Pas cette fille, de grâce !

Dès lors, Henriette et Sandoz, consternés, assistèrent à la déroute de leur menu. La salade de truffes, la glace, le dessert, tout fut avalé sans joie, dans la colère montante de la querelle ; et le chambertin, et le vin de la Moselle, passèrent comme de l’eau pure. Vainement, elle souriait, tandis que lui, bonhomme, s’efforçait de les calmer, en faisant la part des infirmités humaines. Pas un ne lâchait prise, un mot les rejetait les uns sur les autres, acharnés. Ce n’était plus l’ennui vague, la satiété somnolente qui attristait parfois les anciennes réunions ; c’était maintenant de la férocité dans la lutte, un besoin de se détruire. Les bougies de la suspen-