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L’ŒUVRE.

portrait, peint par un de ses élèves, dont la famille, très riche, le recevait. Il avait dû emmener Mazel à l’écart, pour l’attendrir, en lui contant une histoire sentimentale, un malheureux père de trois filles, qui mourait de faim ; et le président s’était longtemps fait prier : que diable ! on lâchait la peinture, quand on avait faim ! on n’abusait pas à ce point de ses trois filles ! Il leva la main pourtant, seul avec Fagerolles. On protestait, on se fâchait, deux autres membres de l’Institut se révoltaient eux-mêmes, lorsque Fagerolles leur souffla très bas :

— C’est pour Mazel, c’est Mazel qui m’a supplié de voter… Un parent, je crois. Enfin, il y tient.

Et les deux académiciens levèrent promptement la main, et une grosse majorité se déclara.

Mais des rires, des mots d’esprit, des cris indignés éclatèrent : on venait de placer sur le chevalet l’Enfant mort. Est-ce qu’on allait, maintenant, leur envoyer la Morgue ? Et les jeunes blaguaient la grosse tête, un singe crevé d’avoir avalé une courge, évidemment ; et les vieux, effarés, reculaient.

Fagerolles, tout de suite, sentit la partie perdue. D’abord, il tâcha d’escamoter le vote en plaisantant, selon sa manœuvre adroite.

— Voyons, messieurs, un vieux lutteur…

Des paroles furieuses, l’interrompirent. Ah ! non, pas celui-là ! On le connaissait, le vieux lutteur ! Un fou qui s’entêtait depuis quinze ans, un orgueilleux qui posait pour le génie, qui avait parlé de démolir le Salon, sans jamais y envoyer une toile possible ! Toute la haine de l’originalité déréglée, de la concurrence d’en face dont on a eu peur, de la force invincible qui triomphe, même battue, grondait dans l’éclat des voix. Non, non, à la porte !