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LES ROUGON-MACQUART.

time, ce dernier combat où elle payait de son corps, quitte à n’être plus rien, rien qu’une femme sans charmes, si elle se laissait vaincre ?

Claude, enchanté, fit d’abord d’après elle une étude, une simple académie pour son tableau, dans la pose. Ils attendaient que Jacques fût parti à l’école, ils s’enfermaient, et la séance durait des heures. Les premiers jours, Christine souffrit beaucoup de l’immobilité ; puis, elle s’accoutuma, n’osant se plaindre, de peur de le fâcher, retenant ses larmes, quand il la bousculait. Et, bientôt, l’habitude en fut prise, il la traita en simple modèle, plus exigeant que s’il l’eût payée, sans jamais craindre d’abuser de son corps, puisqu’elle était sa femme. Il l’employait pour tout, la faisait se déshabiller à chaque minute, pour un bras, pour un pied, pour le moindre détail dont il avait besoin. C’était un métier où il la ravalait, un emploi de mannequin vivant, qu’il plantait là et qu’il copiait, comme il aurait copié la cruche ou le chaudron d’une nature morte.

Cette fois, Claude procéda sans hâte ; et, avant d’ébaucher la grande figure, il avait déjà lassé Christine pendant des mois, à l’essayer de vingt façons, voulant se bien pénétrer de la qualité de sa peau, disait-il. Enfin, un jour, il attaqua l’ébauche. C’était un matin d’automne, par une bise déjà aigre ; il ne faisait pas chaud, dans le vaste atelier, malgré le poêle qui ronflait. Comme le petit Jacques, malade d’une de ses crises de stupeur souffrante, n’avait pu aller à l’école, on s’était décidé à l’enfermer au fond de la chambre, en lui recommandant d’être bien sage. Et, frissonnante, la mère se déshabilla, se planta près du poêle, immobile, tenant la pose.

Pendant la première heure, le peintre, du haut de