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L’ŒUVRE.

— Depuis quand ?

— Trois mois.

— Et vous couchez ensemble ?

— Oui.

Claude éclata d’un grand rire. Ah ! par exemple, il fallait des caboches joliment dures ! Et à propos de quoi cette brouille ? Mais, vexé, Mahoudeau s’emportait contre cette brute de Chaîne. Est-ce qu’un soir, rentrant à l’improviste, il ne l’avait pas surpris avec Mathilde, l’herboriste d’à côté, en chemise tous les deux, mangeant un pot de confiture ! Ce n’était pas l’affaire de la trouver sans jupon : ça, il s’en fichait ; seulement, le pot de confiture était de trop. Non ! jamais il ne pardonnerait qu’on se payât salement des douceurs en cachette, lorsque lui mangeait son pain sec ! Que diable, on fait comme pour la femme, on partage !

Et il y avait bientôt trois mois que la rancune durait, sans une détente, sans une explication. La vie s’était organisée, ils réduisaient les rapports strictement nécessaires aux courtes phrases, charbonnées le long des murs. D’ailleurs, ils continuaient à n’avoir qu’une femme comme ils n’avaient qu’un lit, après être tacitement tombés d’accord sur les heures de chacun d’eux, l’un sortant quand venait le tour de l’autre. Mon Dieu ! on n’avait pas besoin de tant parler dans l’existence, on s’entendait tout de même.

Cependant, Mahoudeau, qui achevait de charger le poêle, se soulagea de tout ce qu’il amassait.

— Eh bien, tu me croiras si tu veux, mais quand on crève la faim, ce n’est pas désagréable de ne jamais s’adresser la parole. Oui, on s’abrutit dans le silence, c’est comme un empâtement qui calme un peu les maux d’estomac… Ah ! ce Chaîne, tu n’as pas