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L’ŒUVRE.

C’est cochon, oui, vous aurez beau dire, c’est cochon !

— Ils ont hué Delacroix, interrompit Sandoz, blanc de rage, les poings serrés. Ils ont tué Courbet. Ah ! race ennemie, stupidité de bourreaux !

Gagnière, qui partageait maintenant cette rancune d’artiste, se fâchait au souvenir de ses batailles des concerts Pasdeloup, chaque dimanche, pour la vraie musique.

— Et ils sifflent Wagner, ce sont les mêmes ; je les reconnais… Tenez ! ce gros, là-bas… 

Il fallut que Jory le retînt. Lui, aurait excité la foule. Il répétait que c’était fameux, qu’il y avait là pour cent mille francs de publicité. Et Irma, lâchée encore, venait de retrouver dans la cohue deux amis à elle, deux jeunes boursiers, qui étaient parmi les plus acharnés blagueurs, et qu’elle endoctrinait, qu’elle forçait à trouver ça très bien, en leur donnant des tapes sur les doigts.

Mais Fagerolles n’avait pas desserré les dents. Il examinait toujours la toile, il jetait des coups d’œil sur le public. Avec son flair de Parisien et sa conscience souple de gaillard adroit, il se rendait compte du malentendu ; et, vaguement, il sentait déjà ce qu’il faudrait pour que cette peinture fît la conquête de tous, quelques tricheries peut-être, des atténuations, un arrangement du sujet, un adoucissement de la facture. L’influence que Claude avait eue sur lui, persistait : il en restait pénétré, à jamais marqué. Seulement, il le trouvait archi-fou d’exposer une pareille chose. N’était-ce pas stupide de croire à l’intelligence du public ? À quoi bon cette femme nue avec ce monsieur habillé ? Que voulaient dire les deux petites lutteuses du fond ? Et les qualités d’un maître, un morceau de peinture comme il n’y en avait pas