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L’ŒUVRE.

allait au delà du poignet, faisait couler un léger frisson le long du corps. Et ce qu’ils avaient évité jusque-là, le trouble de leur liaison, l’éveil de l’homme et de la femme dans leur bonne amitié, éclatait enfin, sous l’évocation constante de cette nudité de vierge. Peu à peu, ils se découvraient une fièvre secrète, ignorée d’eux-mêmes. Des chaleurs leur montaient aux joues, ils rougissaient pour s’être frôlés du doigt. C’était désormais comme une excitation de chaque minute, fouettant leur sang ; tandis que, dans cet envahissement de tout leur être, le tourment de ce qu’ils taisaient ainsi, sans pouvoir se le cacher, s’exagérait au point qu’ils en étouffaient, la poitrine gonflée de grands soupirs.

Vers le milieu de mars, Christine, à une de ses visites, trouva Claude assis devant son tableau, écrasé de chagrin. Il ne l’avait pas même entendue, il restait immobile, les yeux vides et hagards sur l’œuvre inachevée. Dans trois jours expiraient les délais pour l’envoi au Salon.

— Eh bien ?  lui demanda-t-elle doucement, désespérée de son désespoir.

Il tressaillit, il se retourna.

— Eh bien, c’est fichu, je n’exposerai pas cette année… Ah ! moi qui avais tant compté sur ce Salon !  

Tous deux retombèrent dans leur accablement, où s’agitaient de grandes choses confuses. Puis, elle reprit, pensant à voix haute :

— On aurait le temps encore.

— Le temps ? eh non ! Il faudrait un miracle. Où voulez-vous que je trouve un modèle, à cette heure ?… Tenez ! depuis ce matin, je me débats, et j’ai cru un moment avoir une idée : oui, ce serait d’aller cher-