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AU BONHEUR DES DAMES.

— Vraiment, répétait-il en tâchant de montrer un air naïf, vous leur livrerez la rue toute faite, avec les égouts, les trottoirs, les becs de gaz ? Et les terrains en bordure suffiront pour vous indemniser ? Oh ! c’est curieux, très curieux !

Enfin, il arriva au point délicat. Il avait su que le Crédit Immobilier faisait, secrètement, acheter les maisons du pâté où se trouvait le Bonheur des Dames, non seulement celles qui devaient tomber sous la pioche des démolisseurs, mais encore les autres, celles qui allaient rester debout. Et il flairait là le projet de quelque établissement futur, il était très inquiet pour les agrandissements dont il élargissait le rêve, pris de peur à l’idée de se heurter un jour contre une Société puissante, propriétaire d’immeubles qu’elle ne lâcherait certainement pas. C’était même cette peur qui l’avait décidé à mettre au plus tôt un lien entre le baron et lui, le lien aimable d’une femme, si étroit entre les hommes de nature galante. Sans doute, il aurait pu voir le financier dans son cabinet, pour causer à l’aise de la grosse affaire qu’il voulait lui proposer. Mais il se sentait plus fort chez Henriette, il savait combien la possession commune d’une maîtresse rapproche et attendrit. Être tous les deux chez elle, dans son parfum aimé, l’avoir là prête à les convaincre d’un sourire, lui semblait une certitude de succès.

— N’avez-vous pas acheté l’ancien hôtel Duvillard, cette vieille bâtisse qui me touche ? finit-il par demander brusquement.

Le baron Hartmann eut une courte hésitation, puis il nia. Mais, le regardant en face, Mouret se mit à rire ; et il joua dès lors le rôle d’un bon jeune homme, le cœur sur la main, rond en affaires.

— Tenez ! monsieur le baron, puisque j’ai l’honneur inespéré de vous rencontrer, il faut que je me confesse…