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AU BONHEUR DES DAMES.

ment reposée sur le marbre du guéridon. Un brusque rayon du soleil couchant, qui venait de paraître au bord d’un grand nuage, dorait les cimes des marronniers du jardin, entrait par les fenêtres en une poussière d’or rouge, dont l’incendie allumait la brocatelle et les cuivres des meubles.

— Par ici, mon cher baron, disait madame Desforges. Je vous présente monsieur Octave Mouret, qui a le plus vif désir de vous témoigner sa grande admiration.

Et, se tournant vers Octave, elle ajouta :

— Monsieur le baron Hartmann.

Un sourire pinçait finement les lèvres du vieillard. C’était un homme petit et vigoureux, à grosse tête alsacienne, et dont la face épaisse s’éclairait d’une flamme d’intelligence, au moindre pli de la bouche, au plus léger clignement des paupières. Depuis quinze jours, il résistait au désir d’Henriette, qui lui demandait cette entrevue ; non pas qu’il éprouvât une jalousie exagérée, résigné en homme d’esprit à son rôle de père ; mais parce que c’était le troisième ami dont Henriette lui faisait faire la connaissance, et qu’à la longue il craignait un peu le ridicule. Aussi, en abordant Octave, avait-il le rire discret d’un protecteur riche, qui, s’il veut bien se montrer charmant, ne consent pas à être dupe.

— Oh ! monsieur, disait Mouret avec son enthousiasme de Provençal, la dernière opération du Crédit Immobilier a été si étonnante ! Vous ne sauriez croire combien je suis heureux et fier de vous serrer la main.

— Trop aimable, monsieur, trop aimable, répétait le baron toujours souriant.

Henriette les regardait de ses yeux clairs, sans un embarras. Elle restait entre les deux, levait sa jolie tête, allait de l’un à l’autre ; et, dans sa robe de dentelle qui découvrait ses poignets et son cou délicats, elle avait un air ravi, à les voir si bien d’accord.