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LES ROUGON-MACQUART.

France, dans les dépôts d’étalons, et qu’il a de la sorte de continuels prétextes pour disparaître. Le mois passé, tandis que sa femme le croyait à Perpignan, il vivait à l’hôtel, en compagnie d’une maîtresse de piano, au fond d’un quartier perdu.

Il y eut un silence. Puis, le jeune homme, qui surveillait à son tour les galanteries du comte auprès de madame Guibal, reprit tout bas :

— Ma foi, tu as raison… D’autant plus que la chère dame n’est guère farouche, à ce qu’on raconte. Il y a sur elle une histoire d’officier bien drôle… Mais regarde-le donc ! est-il comique, à la magnétiser du coin de l’œil ! La vieille France, mon cher !… Moi, je l’adore, cet homme-là, et il pourra bien dire que c’est pour lui, si j’épouse sa fille !

Mouret riait, très amusé. Il questionna de nouveau Vallagnosc, et quand il sut que la première idée d’un mariage, entre celui-ci et Blanche, venait de madame Desforges, il trouva l’histoire meilleure encore. Cette bonne Henriette goûtait un plaisir de veuve à marier les gens ; si bien que, lorsqu’elle avait pourvu les filles, il lui arrivait de laisser les pères choisir des amies dans sa société ; mais cela naturellement, en toute bonne grâce, sans que le monde y trouvât jamais matière à scandale. Et Mouret, qui l’aimait en homme actif et pressé, habitué à chiffrer ses tendresses, oubliait alors tout calcul de séduction et se sentait pour elle une amitié de camarade.

Justement, elle parut à la porte du petit salon, suivie d’un vieillard, âgé d’environ soixante ans, dont les deux amis n’avaient pas remarqué l’entrée. Ces dames prenaient par moments des voix aiguës, que le léger tintement des cuillers dans les tasses de Chine accompagnait ; et l’on entendait de temps à autre, au milieu d’un court silence, le bruit d’une soucoupe trop vive-