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LES ROUGON-MACQUART.

Il jeta un coup d’œil vers le salon, il baissa la voix.

— Oh ! il y a des femmes qui m’ont bien embêté, ça je le confesse. Mais, quand j’en tiens une, je la tiens, que diable ! et ça ne rate pas toujours, et je ne donne ma part à personne, je t’assure… Puis, ce ne sont pas encore les femmes, dont je me moque après tout. Vois-tu, c’est de vouloir et d’agir, c’est de créer enfin… Tu as une idée, tu te bats pour elle, tu l’enfonces à coups de marteau dans la tête des gens, tu la vois grandir et triompher… Ah ! oui, mon vieux, je m’amuse !

Toute la joie de l’action, toute la gaieté de l’existence sonnaient dans ses paroles. Il répéta qu’il était de son époque. Vraiment, il fallait être mal bâti, avoir le cerveau et les membres attaqués, pour se refuser à la besogne, en un temps de si large travail, lorsque le siècle entier se jetait à l’avenir. Et il raillait les désespérés, les dégoûtés, les pessimistes, tous ces malades de nos sciences commençantes, qui prenaient des airs pleureurs de poètes ou des mines pincées de sceptiques, au milieu de l’immense chantier contemporain. Un joli rôle, et propre, et intelligent, que de bâiller d’ennui devant le labeur des autres !

— C’est mon seul plaisir, de bâiller devant les autres, dit Vallagnosc en souriant de son air froid.

Du coup, la passion de Mouret tomba. Il redevint affectueux.

— Ah ! ce vieux Paul, toujours le même, toujours paradoxal !… Hein ? nous ne nous retrouvons pas pour nous quereller. Chacun a ses idées, heureusement. Mais il faudra que je te montre ma machine en branle, tu verras que ce n’est pas si bête… Allons, donne-moi des nouvelles. Ta mère et tes sœurs se portent bien, j’espère ? Et n’as-tu pas dû te marier à Plassans, il y a six mois ?

Un mouvement brusque de Vallagnosc l’arrêta ; et,