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LES ROUGON-MACQUART.

— Monsieur Baudu ? demanda Denise, en se décidant enfin à s’adresser au gros homme, qui les regardait toujours, surpris de leurs allures.

— C’est moi, répondit-il.

Alors, Denise rougit fortement et balbutia :

— Ah ! tant mieux !… Je suis Denise, et voici Jean, et voici Pépé… Vous voyez, nous sommes venus, mon oncle.

Baudu parut frappé de stupéfaction. Ses gros yeux rouges vacillaient dans sa face jaune, ses paroles lentes s’embarrassaient. Il était évidemment à mille lieues de cette famille qui lui tombait sur les épaules.

— Comment ! comment ! vous voilà ! répéta-t-il à plusieurs reprises. Mais vous étiez à Valognes !… Pourquoi n’êtes-vous pas à Valognes ?

De sa voix douce, un peu tremblante, elle dut lui donner des explications. Après la mort de leur père, qui avait mangé jusqu’au dernier sou dans sa teinturerie, elle était restée la mère des deux enfants. Ce qu’elle gagnait chez Cornaille ne suffisait point à les nourrir tous les trois. Jean travaillait bien chez un ébéniste, un réparateur de meubles anciens ; mais il ne touchait pas un sou. Pourtant, il prenait goût aux vieilleries, il taillait des figures dans du bois ; même, un jour, ayant découvert un morceau d’ivoire, il s’était amusé à faire une tête, qu’un monsieur de passage avait vue ; et, justement, c’était ce monsieur qui les avait décidés à quitter Valognes, en trouvant à Paris une place pour Jean, chez un ivoirier.

— Vous comprenez, mon oncle, Jean entrera dès demain en apprentissage, chez son nouveau patron. On ne me demande pas d’argent, il sera logé et nourri… Alors, j’ai pensé que Pépé et moi, nous nous tirerions toujours d’affaire. Nous ne pouvons pas être plus malheureux qu’à Valognes.