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AU BONHEUR DES DAMES.

ceux-ci contre ceux-là, je trouve que les gaillards comprennent joliment leur époque !

Sa voix s’était échauffée ; Henriette, qui servait le thé, avait tourné la tête. Quand il la vit sourire, au fond du grand salon et qu’il aperçut deux autres dames prêtant l’oreille, il s’égaya le premier de ses phrases.

— Enfin, mon vieux, tout calicot qui débute est aujourd’hui dans la peau d’un millionnaire.

Vallagnosc se renversait mollement sur le canapé. Il avait fermé les yeux à demi, dans une pose de fatigue et de dédain, où une pointe d’affectation s’ajoutait au réel épuisement de sa race.

— Bah ! murmura-t-il, la vie ne vaut pas tant de peine. Rien n’est drôle.

Et, comme Mouret, révolté, le regardait d’un air de surprise, il ajouta :

— Tout arrive et rien n’arrive. Autant rester les bras croisés.

Alors, il dit son pessimisme, les médiocrités et les avortements de l’existence. Un moment, il avait rêvé de littérature, et il lui était resté de sa fréquentation avec des poètes une désespérance universelle. Toujours, il concluait à l’inutilité de l’effort, à l’ennui des heures également vides, à la bêtise finale du monde. Les jouissances rataient, il n’y avait pas même de joie à mal faire.

— Voyons, est-ce que tu t’amuses, toi ? finit-il par demander.

Mouret en était arrivé à une stupeur d’indignation. Il cria :

— Comment ! si je m’amuse !… Ah ! çà, que chantes-tu ? Tu en es là, mon vieux !… Mais, sans doute, je m’amuse, et même lorsque les choses craquent, parce qu’alors je suis furieux de les entendre craquer. Moi, je suis un passionné, je ne prends pas la vie tranquillement, c’est ce qui m’y intéresse peut-être.