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LES ROUGON-MACQUART.

fallait une seule vendeuse, et il y avait déjà dix demandes inscrites. Mais elle était trop désireuse d’être agréable au patron pour hésiter. La demande toutefois suivrait son cours, l’inspecteur Jouve irait aux renseignements, ferait son rapport, et la première prendrait une décision.

— C’est bien, mademoiselle, dit-elle majestueusement, pour réserver son autorité. On vous écrira.

L’embarras tint encore Denise immobile, pendant un instant. Elle ne savait de quel pied sortir, au milieu de tout ce monde. Enfin, elle remercia madame Aurélie ; et, lorsqu’elle dut passer devant Mouret et Bourdoncle, elle salua. Ceux-ci, d’ailleurs, qui ne s’occupaient déjà plus d’elle, ne lui rendirent pas même son salut, très attentifs à examiner avec madame Frédéric le modèle du manteau à taille. Clara eut un geste vexé, en regardant Marguerite, comme pour prédire que la nouvelle vendeuse n’aurait pas beaucoup d’agrément au rayon. Sans doute Denise sentit derrière elle cette indifférence et cette rancune, car elle descendit l’escalier avec le même trouble qu’elle l’avait monté, en proie à une singulière angoisse, se demandant si elle devait se désespérer ou se réjouir d’être venue. Pouvait-elle compter sur la place ? elle recommençait à en douter, dans le malaise qui l’avait empêchée de comprendre nettement. De toutes ses sensations, deux persistaient et effaçaient peu à peu les autres : le coup porté en elle par Mouret, profond jusqu’à la peur ; puis, l’amabilité de Hutin, la seule joie de sa matinée, un souvenir d’une douceur charmante, qui l’emplissait de gratitude. Quand elle traversa le magasin pour sortir, elle chercha le jeune homme, heureuse à l’idée de le remercier encore des yeux, et elle fut triste de ne pas le voir.

— Eh bien ! mademoiselle, avez-vous réussi ? lui demanda une voix émue, comme elle était enfin sur le trottoir.