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AU BONHEUR DES DAMES.

voler, dans la gaieté bonne et courageuse de tout son être.

— Mais elle est jolie ! dit tout bas Mouret à Bourdoncle.

L’intéressé refusa d’en convenir, d’un geste d’ennui. Clara avait pincé les lèvres, tandis que Marguerite tournait le dos. Seule, madame Aurélie approuva Mouret de la tête, quand il reprit :

— Votre oncle a eu tort de ne pas vous amener, sa recommandation suffisait… On prétend qu’il nous en veut. Nous sommes d’esprit plus large, et s’il ne peut occuper sa nièce dans sa maison, eh bien ! nous lui montrerons que sa nièce n’a eu qu’à frapper chez nous pour être accueillie… Répétez-lui que je l’aime toujours beaucoup, qu’il doit s’en prendre, non pas à moi, mais aux nouvelles conditions du commerce. Et dites-lui qu’il achèvera de se couler, s’il s’entête dans un tas de vieilleries ridicules.

Denise redevint toute blanche. C’était Mouret. Personne n’avait dit son nom, mais il se désignait lui-même, et elle le devinait maintenant, elle comprenait pourquoi ce jeune homme lui avait causé une telle émotion, dans la rue, au rayon des soieries, à présent encore. Cette émotion, où elle ne pouvait lire, pesait de plus en plus sur son cœur, comme un poids trop lourd. Toutes les histoires contées par son oncle, revenaient à sa mémoire, grandissant Mouret, l’entourant d’une légende, faisant de lui le maître de la terrible machine, qui depuis le matin la tenait dans les dents de fer de ses engrenages. Et, derrière sa jolie tête, à la barbe soignée, aux yeux couleur de vieil or, elle voyait la femme morte, cette madame Hédouin, dont le sang avait scellé les pierres de la maison. Alors, elle fut reprise du froid de la veille, elle crut qu’elle avait simplement peur de lui.

Madame Aurélie, cependant, fermait le registre. Il lui