Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
AU BONHEUR DES DAMES.

— Allons donc ! murmura-t-il, c’est une plaisanterie ! Elle est trop laide.

— Le fait est qu’elle n’a rien de beau, dit Mouret, n’osant la défendre, bien que touché encore de son extase en bas, devant l’étalage.

Mais on apportait le registre, et madame Aurélie revint vers Denise. Celle-ci ne faisait décidément pas une bonne impression. Elle était très propre, dans sa mince robe de laine noire ; on ne s’arrêtait pas à cette pauvreté de la mise, car on fournissait l’uniforme, la robe de soie réglementaire ; seulement, elle paraissait bien chétive et elle avait le visage triste. Sans exiger des filles belles, on les voulait agréables, pour la vente. Et, sous les regards de ces dames et de ces messieurs, qui l’étudiaient, qui la pesaient, comme une jument que des paysans marchandent à la foire, Denise achevait de perdre contenance.

— Votre nom ? demanda la première, la plume à la main, prête à écrire sur le bout d’un comptoir.

— Denise Baudu, madame.

— Votre âge ?

— Vingt ans et quatre mois.

Et elle répéta, en se hasardant à lever les yeux sur Mouret, sur ce prétendu chef de rayon qu’elle rencontrait toujours, et dont la présence la troublait :

— Je n’en ai pas l’air, mais je suis très solide.

On sourit. Bourdoncle regardait ses ongles avec impatience. La phrase d’ailleurs tomba au milieu d’un silence décourageant.

— Dans quelle maison avez-vous été, à Paris ? reprit la première.

— Mais, madame, j’arrive de Valognes.

Ce fut un nouveau désastre. D’ordinaire, le Bonheur des Dames exigeait de ses vendeuses un stage d’un an dans une des petites maisons de Paris. Denise alors dé-