Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
AU BONHEUR DES DAMES.

instant, elle s’enhardit jusqu’à poser une nouvelle question.

— Croyez-vous que madame Aurélie reviendra bientôt ?

Alors, la seconde du rayon, une femme maigre et laide qu’elle n’avait pas vue, une veuve à la mâchoire saillante et aux cheveux durs, lui cria d’une armoire où elle vérifiait des étiquettes :

— Attendez, si c’est à madame Aurélie en personne que vous désirez parler.

Et, questionnant une autre vendeuse, elle ajouta :

— Est-ce qu’elle n’est pas à la réception ?

— Non, madame Frédéric, je ne crois pas, répondit celle-ci. Elle n’a rien dit, elle ne peut pas être loin.

Denise, ainsi renseignée, demeura debout. Il y avait bien quelques chaises pour les clientes ; mais, comme on ne lui disait pas de s’asseoir, elle n’osa en prendre une, malgré le trouble qui lui cassait les jambes. Évidemment, ces demoiselles avaient flairé la vendeuse qui venait se présenter, et elles la dévisageaient, elles la déshabillaient du coin de l’œil, sans bienveillance, avec la sourde hostilité des gens à table qui n’aiment pas se serrer pour faire place aux faims du dehors. Son embarras grandit, elle traversa la pièce à petits pas et alla regarder dans la rue, afin de se donner une contenance. Juste devant elle, le Vieil Elbeuf, avec sa façade rouillée et ses vitrines mortes, lui parut si laid, si malheureux, vu ainsi du luxe et de la vie où elle se trouvait, qu’une sorte de remords acheva de lui serrer le cœur.

— Dites, chuchotait la grande Prunaire à la petite Vadon, avez-vous vu ses bottines ?

— Et la robe donc ! murmurait l’autre.

Les yeux toujours vers la rue, Denise se sentait mangée. Mais elle était sans colère, elle ne les avait trouvées belles ni l’une ni l’autre, pas plus la grande avec son chignon de cheveux roux tombant sur son cou de