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LES ROUGON-MACQUART.

avec une épingle dans le molleton rouge du col ; tandis que les glaces, aux deux côtés de la vitrine, par un jeu calculé, les reflétaient et les multipliaient sans fin, peuplaient la rue de ces belles femmes à vendre, et qui portaient des prix en gros chiffres, à la place des têtes.

— Elles sont fameuses ! murmura Jean, qui ne trouva rien d’autre pour dire son émotion.

Du coup, il était lui-même redevenu immobile, la bouche ouverte. Tout ce luxe de la femme le rendait rose de plaisir. Il avait la beauté d’une fille, une beauté qu’il semblait avoir volée à sa sœur, la peau éclatante, les cheveux roux et frisés, les lèvres et les yeux mouillés de tendresse. Près de lui, dans son étonnement, Denise paraissait plus mince encore, avec son visage long à la bouche trop grande, son teint fatigué déjà, sous sa chevelure pâle. Et Pépé, également blond, d’un blond d’enfance, se serrait davantage contre elle, comme pris d’un besoin inquiet de caresses, troublé et ravi par les belles dames de la vitrine. Ils étaient si singuliers et si charmants, sur le pavé, ces trois blonds vêtus pauvrement de noir, cette fille triste entre ce joli enfant et ce garçon superbe, que les passants se retournaient avec des sourires.

Depuis un instant, un gros homme à cheveux blancs et à grande face jaune, debout sur le seuil d’une boutique, de l’autre côté de la rue, les regardait. Il était là, le sang aux yeux, la bouche contractée, mis hors de lui par les étalages du Bonheur des Dames, lorsque la vue de la jeune fille et de ses frères avait achevé de l’exaspérer. Que faisaient-ils, ces trois nigauds, à bâiller ainsi devant des parades de charlatan ?

— Et l’oncle ? fit remarquer brusquement Denise, comme éveillée en sursaut.

— Nous sommes rue de la Michodière, dit Jean, il doit loger par ici.

Ils levèrent la tête, se retournèrent. Alors, juste devant