Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
AU BONHEUR DES DAMES.

Elle se faisait plus de douze mille francs aux confections, tandis que lui touchait seulement cinq mille francs d’appointements fixes. Et sa déférence pour une femme apportant de telles sommes dans le ménage, s’élargissait jusqu’à son fils, qui venait d’elle.

— Quoi donc ? murmura-t-il, Albert est en faute ?

Alors, selon son habitude, Mouret rentra en scène, pour jouer le rôle du bon prince. Quand Bourdoncle s’était fait craindre, lui soignait sa popularité.

— Une bêtise, murmura-t-il. Mon cher Lhomme, votre Albert est un étourdi qui devrait bien prendre exemple sur vous.

Puis, changeant de conversation, se montrant plus aimable encore :

— Et ce concert, l’autre jour ?… Étiez-vous bien placé ?

Une rougeur monta aux joues blanches du vieux caissier. Il n’avait que ce vice, la musique, un vice secret qu’il satisfaisait solitairement, courant les théâtres, les concerts, les auditions ; malgré son bras amputé, il jouait du cor, grâce à un système ingénieux de pinces ; et, comme madame Lhomme détestait le bruit, il enveloppait son instrument de drap, le soir, ravi quand même jusqu’à l’extase par les sons étrangement sourds qu’il en tirait. Au milieu de la débandade forcée de leur foyer, il s’était fait dans la musique un désert. Ça et l’argent de sa caisse, il ne connaissait rien autre, en dehors de son admiration pour sa femme.

— Très bien placé, répondit-il, les yeux brillants. Vous êtes trop bon, monsieur.

Mouret, qui goûtait une jouissance personnelle à satisfaire les passions, donnait parfois à Lhomme les billets que des dames patronnesses lui avaient mis sur la gorge. Et il acheva de l’enchanter, en disant :

— Ah ! Beethoven, ah ! Mozart… Quelle musique !