Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
LES ROUGON-MACQUART.

grâce dans un métier de gendarme, il gardait par goût et par tactique son rôle de dieu aimable. Légèrement du coude, il toucha Bourdoncle, l’homme chiffre, qu’il chargeait d’ordinaire des exécutions.

— Monsieur Albert, dit ce dernier sévèrement, vous avez encore mal pris une adresse, le paquet est revenu… C’est insupportable.

Le caissier crut devoir se défendre, appela en témoignage le garçon qui avait fait le paquet. Ce garçon, nommé Joseph, appartenait, lui aussi, à la dynastie des Lhomme, car il était le frère de lait d’Albert, et il devait sa place à l’influence de madame Aurélie. Comme le jeune homme voulait lui faire dire que l’erreur venait de la cliente, il balbutiait, il tordait la barbiche qui allongeait son visage couturé, combattu entre sa conscience d’ancien soldat et sa gratitude pour ses protecteurs.

— Laissez donc Joseph tranquille, finit par crier Bourdoncle, et surtout ne répondez pas davantage… Ah ! vous êtes heureux que nous ayons égard aux bons services de votre mère !

Mais, à ce moment, Lhomme accourut. De sa caisse, située près de la porte, il apercevait celle de son fils, qui se trouvait au rayon de la ganterie. Déjà tout blanc, alourdi par sa vie sédentaire, il avait une figure molle, effacée, comme usée au reflet de l’argent qu’il comptait sans relâche. Son bras amputé ne le gênait nullement dans cette besogne, et l’on allait même par curiosité le voir vérifier la recette, tellement les billets et les pièces glissaient rapidement dans sa main gauche, la seule qui lui restât. Fils d’un percepteur de Chablis, il était tombé à Paris comme employé aux écritures, chez un négociant du Port-aux-Vins. Puis, demeurant rue Cuvier, il avait épousé la fille de son concierge, petit tailleur alsacien ; et, depuis ce jour, il était resté soumis devant sa femme, dont les facultés commerciales le frappaient de respect.