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LES ROUGON-MACQUART.

une arrestation immédiate, n’accepta pas l’aventure avec cette belle tranquillité. Il s’était abandonné au fond d’un fauteuil, et maintenant qu’il pouvait raisonner, il se répandait en lamentations sur son propre compte. Était-ce possible ? voilà qu’il était entré dans une famille de voleuses ! Un mariage stupide qu’il avait bâclé, afin d’être agréable au père ! Surpris de cette violence d’enfant maladif, Mouret le regardait pleurer, en se rappelant l’ancienne pose de son pessimisme. Ne lui avait-il pas entendu soutenir vingt fois le néant final de la vie, où il ne trouvait que le mal d’un peu drôle ? Aussi, pour le distraire, s’amusa-t-il une minute à lui prêcher l’indifférence, sur un ton de plaisanterie amicale. Et, du coup, Vallagnosc se fâcha : il ne pouvait décidément rattraper sa philosophie compromise, toute son éducation bourgeoise repoussait en indignations vertueuses contre sa belle-mère. Dès que l’expérience tombait sur lui, au moindre effleurement de la misère humaine, dont il ricanait à froid, le sceptique fanfaron s’abattait et saignait. C’était abominable, on traînait dans la boue l’honneur de sa race, le monde semblait en craquer.

— Allons, calme-toi, conclut Mouret pris de pitié. Je ne te dirai plus que tout arrive et que rien n’arrive, puisque cela n’a pas l’air de te consoler en ce moment. Mais je crois que tu devrais aller donner ton bras à madame de Boves, ce qui serait plus sage que de faire un scandale… Que diable ! toi qui professais le flegme du mépris, devant la canaillerie universelle !

— Tiens ! cria naïvement Vallagnosc, quand ça se passe chez les autres !

Cependant, il s’était levé, il suivit le conseil de son ancien condisciple. Tous deux retournaient dans la galerie, lorsque madame de Boves sortit de chez Bourdoncle. Elle accepta avec majesté le bras de son gendre, et