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AU BONHEUR DES DAMES.

rancune qui lui avait fait jurer de ne rien acheter, succomba devant un ivoire d’une finesse charmante.

— Envoyez-le-moi, dit-elle rapidement, à une caisse voisine. Quatre-vingt-dix francs, n’est-ce pas ?

Et, voyant madame Marty et sa fille enfoncées dans un choix de porcelaines de camelote, elle reprit, en emmenant madame Guibal :

— Vous nous retrouverez au salon de lecture… J’ai vraiment besoin de m’asseoir un peu.

Au salon de lecture, ces dames durent rester debout. Toutes les chaises étaient prises, autour de la grande table couverte de journaux. De gros hommes lisaient, renversés, étalant des ventres, sans avoir l’idée aimable de céder la place. Quelques femmes écrivaient, le nez dans leurs phrases, comme pour cacher le papier sous les fleurs de leurs chapeaux. Du reste, madame de Boves n’était pas là, et Henriette s’impatientait, lorsqu’elle aperçut Vallagnosc, qui cherchait aussi sa femme et sa belle-mère. Il salua, il finit par dire :

— Elles sont pour sûr aux dentelles, on ne peut les en arracher… Je vais voir.

Et il eut la galanterie de leur procurer deux sièges, avant de s’éloigner.

L’écrasement, aux dentelles, croissait de minute en minute. La grande exposition de blanc y triomphait, dans ses blancheurs les plus délicates et les plus chères. C’était la tentation aiguë, le coup de folie du désir, qui détraquait toutes les femmes. On avait changé le rayon en une chapelle blanche. Des tulles, des guipures tombant de haut, faisaient un ciel blanc, un de ces voiles de nuages dont le fin réseau pâlit le soleil matinal. Autour des colonnes, descendaient des volants de malines et de valenciennes, des jupes blanches de danseuses, déroulées en un frisson blanc, jusqu’à terre. Puis, de toutes parts, sur tous les comptoirs, le blanc neigeait, les blondes espagnoles