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LES ROUGON-MACQUART.

l’air obéissant, dont il s’était servi pour user Robineau et Bouthemont ! ça le frappait d’une surprise où il entrait du respect.

— À propos, reprit Favier, vous savez qu’elle reste. On vient de voir le patron jouer de la prunelle… Je vais en être pour une bouteille de champagne, moi.

Il parlait de Denise. D’un comptoir à l’autre, les commérages soufflaient plus fort, au travers du flot sans cesse épaissi des clientes. La soie surtout était en révolution, car on y pariait des choses chères.

— Sacredié ! lâcha Hutin, s’éveillant comme d’un rêve, ai-je été bête de ne pas coucher avec !… C’est aujourd’hui que je serais chic !

Puis, il rougit de cet aveu, en voyant rire Favier. Et il feignit de rire également, il ajouta, pour rattraper sa phrase, que c’était cette créature qui l’avait perdu dans l’esprit de la direction. Cependant, un besoin de violence le prenait, il finit par s’emporter contre les vendeurs débandés sous l’assaut de la clientèle. Mais, tout d’un coup, il se remit à sourire : il venait d’apercevoir madame Desforges et madame Guibal traversant le rayon avec lenteur.

— Il ne vous faut rien, aujourd’hui, madame ?

— Non, merci, répondit Henriette. Vous voyez, je me promène, je ne suis venue qu’en curieuse.

Quand il l’eut arrêtée, il baissa la voix. Tout un plan germait dans sa tête. Et il la flatta, il dénigra la maison : lui, en avait assez, il préférait s’en aller, que d’assister davantage à un pareil désordre. Elle l’écoutait, ravie. Ce fut elle qui, croyant l’enlever au Bonheur, lui offrit de le faire engager par Bouthemont comme premier à la soie, lorsque les magasins des Quatre Saisons seraient réinstallés. L’affaire fut conclue, tous deux chuchotaient très bas, tandis que madame Guibal s’intéressait aux étalages.

— Puis-je vous offrir un de ces bouquets de violettes ?