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LES ROUGON-MACQUART.

sèrent. Henriette réprima le tressaillement dont toute sa chair avait frémi. Elle regarda Mouret, elle regarda Denise. Eux-mêmes l’avaient regardée, ce fut le dénouement muet, la fin commune des gros drames du cœur, un coup d’œil échangé dans la bousculade d’une foule. Déjà Mouret s’était éloigné, tandis que Denise se perdait au fond du rayon, accompagnée de ses frères, toujours à la recherche d’un vendeur libre. Alors, Henriette, ayant reconnu mademoiselle de Fontenailles dans l’auxiliaire qui suivait, avec son chiffre jaune à l’épaule et son masque épaissi et terreux de servante, se soulagea, en disant d’une voix irritée à madame Guibal :

— Voyez ce qu’il a fait de cette malheureuse… N’est-ce pas blessant ? une marquise ! Et il la force à suivre comme un chien les créatures ramassées par lui sur le trottoir !

Elle tâcha de se calmer, elle affecta d’ajouter d’un air indifférent :

— Allons donc à la soie voir leur étalage.

Le rayon des soieries était comme une grande chambre d’amour, drapée de blanc par un caprice d’amoureuse à la nudité de neige, voulant lutter de blancheur. Toutes les pâleurs laiteuses d’un corps adoré se retrouvaient là, depuis le velours des reins, jusqu’à la soie fine des cuisses et au satin luisant de la gorge. Des pièces de velours étaient tendues entre les colonnes, des soies et des satins se détachaient, sur ce fond de blanc crémeux, en draperies d’un blanc de métal et de porcelaine ; et il y avait encore, retombant en arceaux, des poults de soie et des siciliennes à gros grain, des foulards et des surahs légers, qui allaient du blanc alourdi d’une blonde de Norwège au blanc transparent, chauffé de soleil, d’une rousse d’Italie ou d’Espagne.

Justement, Favier métrait du foulard blanc pour la « jolie dame », cette blonde élégante, une habituée du