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AU BONHEUR DES DAMES.

les patineurs d’un lac de Pologne, en décembre. Au rez-de-chaussée, il y avait une houle assombrie, agitée d’un reflux, où l’on ne distinguait que les visages délicats et ravis des femmes. Dans les découpures des charpentes de fer, le long des escaliers, sur les ponts volants, c’était ensuite une ascension sans fin de petites figures, comme égarées au milieu de pics neigeux. Une chaleur de serre, suffocante, surprenait, en face de ces hauteurs glacées. Le bourdonnement des voix faisait un bruit énorme de fleuve qui charrie. Au plafond, les ors prodigués, les vitres niellées d’or et les rosaces d’or semblaient un coup de soleil, luisant sur les Alpes de la grande exposition de blanc.

— Voyons, dit madame de Boves, il faut pourtant avancer. Nous ne pouvons rester là.

Depuis qu’elle était entrée, l’inspecteur Jouve, debout près de la porte, ne la quittait pas des yeux. Lorsqu’elle se tourna, leurs regards se rencontrèrent. Puis, comme elle se remettait en marche, il lui laissa quelque avance, et la suivit de loin, sans paraître s’occuper d’elle davantage.

— Tiens ! dit madame Guibal, en s’arrêtant encore devant la première caisse, au milieu des poussées, c’est une idée gentille, ces violettes !

Elle parlait de la nouvelle prime du Bonheur, une idée de Mouret dont il menait tapage dans les journaux, de petits bouquets de violettes blanches, achetés par milliers à Nice et distribués à toute cliente qui faisait le moindre achat. Près de chaque caisse, des garçons en livrée délivraient la prime, sous la surveillance d’un inspecteur. Et, peu à peu, la clientèle se trouvait fleurie, les magasins s’emplissaient de ces noces blanches, toutes les femmes promenaient un parfum pénétrant de fleur.

— Oui, murmura madame Desforges d’une voix jalouse, l’idée est bonne.