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LES ROUGON-MACQUART.

bout des gravures habillées, des feuilles de carton bleuâtre, où une jeune mariée et une dame en toilette de bal, toutes deux de grandeur naturelle, vêtues de vraies étoffes, dentelle et soie, souriaient de leurs figures peintes. Un cercle de badauds se reformait sans cesse, un désir montait de l’ébahissement de la foule.

Ce qui ameutait encore la curiosité autour du Bonheur des Dames, c’était un sinistre dont Paris entier causait, l’incendie des Quatre Saisons, le grand magasin que Bouthemont avait ouvert près de l’Opéra, depuis trois semaines à peine. Les journaux débordaient de détails : le feu mis par une explosion de gaz pendant la nuit, la fuite épouvantée des vendeuses en chemise, l’héroïsme de Bouthemont qui en avait sauvé cinq sur ses épaules. Du reste, les pertes énormes se trouvaient couvertes, et le public commençait à hausser les épaules, en disant que la réclame était superbe. Mais, pour le moment, l’attention refluait vers le Bonheur, enfiévrée des histoires qui couraient, occupée jusqu’à l’obsession de ces bazars dont l’importance prenait une si large place dans la vie publique. Toutes les chances, ce Mouret ! Paris saluait son étoile, accourait le voir debout, puisque les flammes maintenant se chargeaient de balayer à ses pieds la concurrence ; et l’on chiffrait déjà les gains de la saison, on estimait le flot élargi de cohue qu’allait faire couler, sous sa porte, la fermeture forcée de la maison rivale. Un instant, il avait éprouvé des inquiétudes, troublé de sentir contre lui une femme, cette madame Desforges, à laquelle il devait un peu sa fortune. Le dilettantisme financier du baron Hartmann, mettant de l’argent dans les deux affaires, l’énervait aussi. Puis, il était surtout exaspéré de n’avoir pas eu une idée géniale de Bouthemont : ce bon vivant ne venait-il pas de faire bénir ses magasins par le curé de la Madeleine, suivi de tout son clergé ! une cérémonie étonnante, une pompe religieuse promenée de la