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LES ROUGON-MACQUART.

semblait dormir, engourdie par le crépuscule blafard qui la noyait ; tandis qu’on entendait, derrière la tôle mince de la fermeture, le fracas de la rue, la vie du plein jour passant avec le grondement des voitures et la bousculade des trottoirs. Enfin, Denise, qui allait, à chaque minute, jeter un coup d’œil par la petite porte ouvrant sur le vestibule de la maison, revint en criant :

— Le médecin !

C’était un jeune homme, aux yeux vifs, que le concierge ramenait. Il préféra visiter le blessé avant qu’on le couchât. Une seule des jambes, la gauche, se trouvait cassée, au-dessus de la cheville. La rupture était simple, aucune complication ne semblait à craindre. Et l’on se disposait à porter le brancard au fond, dans la chambre, lorsque Gaujean se présenta. Il venait rendre compte d’une dernière démarche, dans laquelle du reste il avait échoué : la déclaration de faillite était définitive.

— Quoi donc ? murmura-t-il, qu’est-il arrivé ?

D’un mot, Denise le renseigna. Alors, il resta gêné. Robineau lui dit faiblement :

— Je ne vous en veux pas, mais tout cela est un peu de votre faute.

— Dame ! mon cher, répondit Gaujean, il fallait avoir des reins plus solides que les nôtres… Vous savez que je ne suis guère mieux portant que vous.

On soulevait le brancard. Le blessé trouva encore la force de dire :

— Non, non, des reins plus solides auraient plié tout de même… Je comprends que les vieux entêtés, comme Bourras et Baudu, y restent ; mais nous autres, qui étions jeunes, qui acceptions le nouveau train des choses !… Non, voyez-vous, Gaujean, c’est la fin d’un monde.

On l’emporta. Madame Robineau embrassa Denise, dans un élan où il y avait presque de la joie, à être enfin