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LES ROUGON-MACQUART.

premiers hôtels, ayant l’ordre de traiter les fabricants à bourse ouverte. Il jouissait d’ailleurs d’une liberté absolue, il achetait comme bon lui semblait, pourvu que, chaque année, il augmentât dans une proportion fixée d’avance le chiffre d’affaires de son comptoir ; et c’était même sur cette augmentation qu’il touchait son tant pour cent d’intérêt. En somme, sa situation, au Bonheur des Dames, comme celle de tous les chefs, ses collègues, se trouvait être celle d’un commerçant spécial, dans un ensemble de commerces divers, une sorte de vaste cité du négoce.

— Alors, c’est décidé, reprit-il, nous la marquons cinq francs soixante… Vous savez que c’est à peine le prix d’achat.

— Oui, oui, cinq francs soixante, dit vivement Mouret, et si j’étais seul, je la donnerais à perte.

Le chef de rayon eut un bon rire.

— Oh ! moi, je ne demande pas mieux… Ça va tripler la vente, et comme mon seul intérêt est d’arriver à de grosses recettes…

Mais Bourdoncle restait grave, les lèvres pincées. Lui, touchait son tant pour cent sur le bénéfice total, et son affaire n’était pas de baisser les prix. Justement, le contrôle qu’il exerçait consistait à surveiller la marque, pour que Bouthemont, cédant au seul désir d’accroître le chiffre de vente, ne vendît pas à trop petit gain. Du reste, il était repris par ses inquiétudes anciennes, devant des combinaisons de réclame qui lui échappaient. Il osa montrer sa répugnance, en disant :

— Si nous la donnons à cinq francs soixante, c’est comme si nous la donnions à perte, puisqu’il faudra prélever nos frais qui sont considérables… On la vendrait partout sept francs.

Du coup, Mouret se fâcha. Il tapa de sa main ouverte sur la soie, il cria nerveusement :