Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/458

Cette page a été validée par deux contributeurs.
458
LES ROUGON-MACQUART.

coulèrent sur ses joues. Elle l’avait embrassé, et elle pleurait, en le regardant de ses yeux fixes. Dans la rue, la cohue continuait, les visages s’entassaient comme au spectacle, avec des yeux luisants ; des ouvrières, échappées d’un atelier, menaçaient d’enfoncer les glaces des vitrines, pour mieux voir. Afin d’échapper à cette fièvre de curiosité, et jugeant d’ailleurs qu’il n’était pas convenable de laisser le magasin ouvert, Denise eut l’idée de baisser le rideau métallique. Elle-même alla tourner la manivelle, l’engrenage avait un cri plaintif, les feuilles de tôle descendaient avec lenteur, ainsi qu’une draperie lourde tombant sur le dénouement d’un cinquième acte. Et, lorsqu’elle rentra et qu’elle eut fermé derrière elle la petite porte ronde, elle retrouva madame Robineau serrant toujours son mari entre ses bras éperdus, sous le demi-jour louche qui venait des deux étoiles découpées dans la tôle. La boutique ruinée semblait glisser au néant, seules les deux étoiles luisaient sur cette catastrophe rapide et brutale du pavé parisien. Enfin, madame Robineau recouvra la parole.

— Oh ! mon chéri… Oh ! mon chéri… Oh ! mon chéri…

Elle ne trouvait que ces mots, et lui suffoqua, se confessa dans une crise de remords, en la voyant ainsi agenouillée, renversée, avec son ventre de mère qui s’écrasait contre le brancard. Lorsqu’il ne bougeait pas, il ne sentait que le plomb brûlant de ses jambes.

— Pardonne-moi, j’ai dû être fou… Quand l’avoué m’a dit devant Gaujean que les affiches seraient posées demain, il m’a semblé que des flammes dansaient, comme si les murs avaient brûlé… Et puis, je ne me souviens plus : je descendais la rue de la Michodière, j’ai cru que les gens du Bonheur se fichaient de moi, cette grande gueuse de maison m’écrasait… Alors, quand l’omnibus a tourné, j’ai songé à Lhomme et à son bras, je me suis jeté dessous…