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LES ROUGON-MACQUART.

l’oncle et de le soutenir, s’il avait de la peine à marcher. Depuis quelques semaines, Jean était grave, comme tourmenté d’une préoccupation. Ce jour-là, serré dans une redingote noire, homme fait à cette heure et gagnant des journées de vingt francs, il semblait si digne et si triste, que sa sœur en fut frappée, car elle ne le soupçonnait pas d’aimer à ce point leur cousine. Désireuse d’éviter à Pépé des tristesses inutiles, elle l’avait laissé chez madame Gras, en se promettant d’aller l’y chercher l’après-midi, pour lui faire embrasser son oncle et sa tante.

Cependant, le corbillard n’arrivait toujours pas, et Denise, très émue, regardait brûler les cierges, lorsqu’elle tressaillit, au son connu d’une voix qui parlait derrière elle. C’était Bourras. Il avait appelé d’un signe un marchand de marrons, installé en face, dans une étroite guérite, prise sur la boutique d’un marchand de vin, et il lui disait :

— Hein ? Vigouroux, rendez-moi ce service… Vous voyez, je retire le bouton… Si quelqu’un venait, vous diriez de repasser. Mais que ça ne vous dérange pas, il ne viendra personne.

Puis, il resta debout au bord du trottoir, attendant comme les autres. Denise, gênée, avait jeté un coup d’œil sur la boutique. Maintenant, il l’abandonnait, on ne voyait plus, à l’étalage, qu’une débandade pitoyable de parapluies mangés par l’air et de cannes noires de gaz. Les embellissements qu’il y avait faits, les peintures vert tendre, les glaces, l’enseigne dorée, tout craquait, se salissait déjà, offrait cette décrépitude rapide et lamentable du faux luxe, badigeonné sur des ruines. Pourtant, si les anciennes crevasses reparaissaient, si les taches d’humidité avaient repoussé sous les dorures, la maison tenait toujours, entêtée, collée au flanc du Bonheur des Dames, comme une verrue déshonorante, qui, bien que gercée et pourrie, refusait d’en tomber.