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LES ROUGON-MACQUART.

daient toutes seules, sans qu’on vît les hommes dont les mains les poussaient, en haut ; et elles semblaient se précipiter d’elles-mêmes, ruisseler en pluie d’une source supérieure. Puis, des ballots parurent, tournant sur eux-mêmes comme des cailloux roulés. Mouret regardait, sans prononcer une parole. Mais, dans ses yeux clairs, cette débâcle de marchandises qui tombait chez lui, ce flot qui lâchait des milliers de francs à la minute, mettait une courte flamme. Jamais encore il n’avait eu une conscience si nette de la bataille engagée. C’était cette débâcle de marchandises qu’il s’agissait de lancer aux quatre coins de Paris. Il n’ouvrit pas la bouche, il continua son inspection.

Dans le jour gris qui venait des larges soupiraux, une équipe d’hommes recevait les envois, tandis que d’autres déclouaient les caisses et ouvraient les ballots, en présence des chefs de rayon. Une agitation de chantier emplissait ce fond de cave, ce sous-sol où des piliers de fonte soutenaient les voûtins, et dont les murs nus étaient cimentés.

— Vous avez tout, Bouthemont ? demanda Mouret, en s’approchant d’un jeune homme à fortes épaules, en train de vérifier le contenu d’une caisse.

— Oui, tout doit y être, répondit ce dernier. Mais j’en ai pour la matinée à compter.

Le chef de rayon consultait la facture d’un coup d’œil, debout devant un grand comptoir, sur lequel un de ses vendeurs posait, une à une, les pièces de soie qu’il sortait de la caisse. Derrière eux, s’alignaient d’autres comptoirs, encombrés également de marchandises, que tout un petit peuple de commis examinaient. C’était un déballage général, une confusion apparente d’étoffes, étudiées, retournées, marquées, au milieu du bourdonnement des voix.

Bouthemont, qui devenait célèbre sur la place, avait