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AU BONHEUR DES DAMES.

C’était Pauline qui traversait le rayon. Elle avait vu la scène, elle parlait bas, en souriant.

— Mais il le faut bien, répondit de même Denise. Je ne puis venir à bout de mon petit monde.

La lingère haussa les épaules.

— Laissez donc, vous serez notre reine à toutes, quand vous voudrez.

Elle, ne comprenait toujours pas les refus de son amie. Depuis la fin d’août, elle avait épousé Baugé, une vraie sottise, disait-elle gaiement. Le terrible Bourdoncle la traitait maintenant en sabot, en femme perdue pour le commerce. Sa frayeur était qu’on ne les envoyât un beau matin s’aimer dehors, car ces messieurs de la direction décrétaient l’amour exécrable et mortel à la vente. C’était au point que lorsqu’elle rencontrait Baugé dans les galeries, elle affectait de ne pas le connaître. Justement, elle venait d’avoir une alerte, le père Jouve avait failli la surprendre causant avec son mari, derrière une pile de torchons.

— Tenez ! il m’a suivie, ajouta-t-elle, après avoir conté vivement l’aventure à Denise. Le voyez-vous qui me flaire de son grand nez !

Jouve, en effet, sortait des dentelles, correctement cravaté de blanc, le nez à l’affût de quelque faute. Mais, lorsqu’il aperçut Denise, il fit le gros dos et passa d’un air aimable.

— Sauvée ! murmura Pauline. Ma chère, vous lui avez rentré ça dans la gorge… Dites donc, s’il m’arrivait malheur, vous parleriez pour moi ? Oui, oui, ne prenez pas votre air étonné, on sait qu’un mot de vous révolutionnerait la maison.

Et elle se hâta de rentrer à son comptoir. Denise avait rougi, troublée de ces allusions amicales. C’était vrai, du reste. Elle avait la sensation vague de sa puissance, aux flatteries qui l’entouraient. Lorsque madame Aurélie remonta, et qu’elle trouva le rayon tranquille et actif, sous