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LES ROUGON-MACQUART.

— Une marquise, ma chère, une pauvre fille tombée dans la gêne.

— Mais, dit Mouret, elle gagne ses trois francs par jour à coudre des cahiers d’échantillons, et je crois que je vais lui faire épouser un de mes garçons de magasin.

— Fi ! l’horreur ! cria madame de Boves.

Il la regarda, il reprit de sa voix calme :

— Pourquoi donc, madame ? Est-ce qu’il ne vaut pas mieux pour elle épouser un brave garçon, un gros travailleur, que de courir le risque d’être ramassée par des fainéants sur le trottoir ?

Vallagnosc voulut intervenir, en plaisantant.

— Ne le poussez pas, madame. Il va vous dire que toutes les vieilles familles de France devraient se mettre à vendre du calicot.

— Mais, déclara Mouret, pour beaucoup d’entre elles, ce serait au moins une fin honorable.

On finit par rire, le paradoxe semblait un peu fort. Lui, continuait à célébrer ce qu’il appelait l’aristocratie du travail. Une faible rougeur avait coloré les joues de madame de Boves, que sa gêne réduite aux expédients enrageait ; tandis que madame Marty, au contraire, approuvait, prise de remords, en songeant à son pauvre mari. Justement, le domestique introduisit le professeur, qui venait la chercher. Il était plus sec, plus desséché par ses dures besognes, dans sa mince redingote luisante. Quand il eut remercié madame Desforges d’avoir parlé pour lui au ministère, il jeta vers Mouret le regard craintif d’un homme qui rencontre le mal dont il mourra. Et il resta saisi d’entendre ce dernier lui adresser la parole.

— N’est-ce pas, monsieur, que le travail mène à tout ?

— Le travail et l’épargne, répondit-il avec un léger