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AU BONHEUR DES DAMES.

bouffis de sommeil, vous vous alourdissez, à être trop sage… Amusez-vous donc, ça vous fouettera les idées !

C’était toujours leur dispute amicale. Bourdoncle, au début, avait battu ses maîtresses, parce que, disait-il, elles l’empêchaient de dormir. Maintenant, il faisait profession de haïr les femmes, ayant sans doute au dehors des rencontres dont il ne parlait pas, tant elles tenaient peu de place dans sa vie, et se contentant au magasin d’exploiter les clientes, avec un grand mépris pour leur frivolité à se ruiner en chiffons imbéciles. Mouret, au contraire, affectait des extases, restait devant les femmes ravi et câlin, emporté continuellement dans de nouveaux amours ; et ses coups de cœur étaient comme une réclame à sa vente, on eût dit qu’il enveloppait tout le sexe de la même caresse, pour mieux l’étourdir et le garder à sa merci.

— J’ai vu madame Desforges, cette nuit, reprit-il. Elle était délicieuse à ce bal.

— Ce n’est pas avec elle que vous avez soupé ensuite ? demanda l’associé.

Mouret se récria.

— Oh ! par exemple ! elle est très honnête, mon cher… Non, j’ai soupé avec Héloïse, la petite des Folies. Bête comme une oie, mais si drôle !

Il prit un autre paquet de traites et continua de signer. Bourdoncle marchait toujours à petits pas. Il alla jeter un coup d’œil dans la rue Neuve-Saint-Augustin, par les hautes glaces de la fenêtre, puis revint en disant :

— Vous savez qu’elles se vengeront.

— Qui donc ? demanda Mouret, auquel la conversation échappait.

— Mais les femmes.

Alors, il s’égaya davantage, il laissa percer le fond de sa brutalité, sous son air d’adoration sensuelle. D’un haussement d’épaules, il parut déclarer qu’il les jetterait